Appel à communication

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Appel à communication

 

Colloque international « Globalisation culturelle alternative : de l’Asie de l’Est à l’Europe »

(Paris, 14-16 décembre 2022)

 

 

L’UNESCO (2016) signale que, si les pays occidentaux restent les principaux consommateurs de biens culturels, ce qu’ils consomment provient désormais de diverses régions du monde et notamment d’Asie de l’Est. La Japan Wave a déferlé depuis les années 1980 avec ses mangas, animé et ses jeux vidéo. Plus généralement, le « miracle asiatique » de la fin des années 1990 a trouvé dans les industries culturelles un terrain d’élection dans les secteurs de l’audiovisuel et de la musique enregistrée ainsi que du jeu vidéo : maintenant c’est la Hallyu sud-coréenne qui se taille la part du lion sur les marchés de la pop et des séries télé au niveau global. Par ailleurs la Chine, déjà l’un des leaders dans les jeux vidéo, investit massivement dans les industries culturelles nationales mais aussi sur le marché de l’art et monte au capital des studios d’Hollywood.

Presque vingt ans après le diagnostic sur le rôle joué par les flux culturels en provenance du Japon sur une « globalisation recentrée »  (Iwabuchi, 2002) et ceux en provenance de la Corée du Sud sur une « multiplicité décentralisée » (Kim, 2007), peut-on maintenant parler d’asianisation de la culture globale ?

 

 

Argument : une asianisation de la culture globale ?

 

Dès les années 1990, un certain nombre d’auteurs ont adopté une approche multi-niveaux qui a donné une importance centrale à la dimension culturelle de la globalisation : comme en témoignent certains textes fondateurs (Appadurai, 1990 ; Featherstone, 1990 ; Hannerz, 1990 ; Robertson, 1992), la culture a en effet été un objet constitutif de l’analyse du global dès le début des global studies dans les années 1990. En mettant l’accent sur la déterritorialisation (ou délocalisation, dénationalisation) des imaginaires et sur la naissance de « communautés imaginées » (Anderson, 1983) transnationales (Hannerz, 1990 ; Appadurai, 1996), certains auteurs ont ainsi fait de la globalisation de la culture l’un des observatoires privilégiés pour pointer le changement d’échelle nécessaire à l’appréhension de la réalité globale (Beck, 2004).

Si les grandes questions qui ont été mises en évidence dès ces années – sous la forme d’une double opposition entre la diffusion des modèles culturels américano-occidentaux et les résistances ethno-nationales d’une part, la promotion locale et l’indigénisation, glocalisation, créolisation, hybridation d’autre part – restent encore pertinentes, d’autres outils ont été mis au point pour investiguer plus finement cette inflexion de la globalisation de la culture à laquelle on assiste : l’insistance sur les cultures participatives et le spreadable media (Jenkins, Ford and Green, 2013), la digital intimacy (Choi, 2015) le platform capitalism (Elkins, 2019 ; Poell, Nieborg et Duffy, 2021) et le capitalisme émotionnel (Illouz, 2006 ; Yano, 2013), la cultural diplomacy (Nye, 2002 ; Ang, Isar et Mar, 2015 ; Iwabuchi, 2015 ; Jin, 2018). Ces outils permettent de mieux cerner les contours d’une globalisation qui a gagné en étendue, vitesse, pénétration voire en désirabilité par une circulation vertigineuse des imaginaires associés aux matériaux culturels (valeurs, normes, idéaux, styles de vie) et des produits culturels.

Néanmoins, ces outils ne peuvent à eux seuls saisir l’un des enjeux majeurs de la culture globale au XXIème siècle : l’installation dans le paysage global de puissants centres de production de produits, fabrication de nouveaux imaginaires en provenance d’Asie de l’Est (Iwabuchi, 2004 ; Chua et Iwabuchi, 2008 ; Russel, 2008 ; Moreran, 2013 ; Kim, 2013 ; Jang et Lee, 2016 ; Kawashima et Lee, 2018), parfois en recyclant des éléments culturels européens (Chappuis, 2008 ; Lucken, 2019).

Si ce phénomène de diffusion de la culture asiatique est documenté dans bien de pays et aires géoculturelles (des États-Unis à l’Amérique latine, du Proche Orient à l’Afrique sub-saharienne), il prend un intérêt tout particulier en Europe, continent historiquement producteur et exportateur de culture, lui-même fortement multiculturel et intensément traversé par toute sorte de flux et dynamiques transnationales. L’irruption des imaginaires venus de pays éloignés géographiquement et culturellement qui sont devenus de très grands investisseurs dans les industries culturelles incite à se pencher sur cet incontestable nouveau magistère dans les produits culturels dont l’Europe en général est une grande consommatrice et qui a profondément transformé les imaginaires des européens (Détrez et Vanhée, 2012 ; Pellitteri, 2016 ; Pruvost-Delaspre, 2016 ; Cicchelli et Octobre, 2021).  

Premier évènement scientifique organisé en France sur ce sujet, ce colloque international veut investiguer cette globalisation de la culture qui vient de l’Asie de l’Est à partir de 4 plans :

a)    la production des biens culturels (dans le cadre d’un capitalisme culturel) ;

b)    la compétition politique dans l’arène globale pour l’hégémonie culturelle (par le recours au soft power) ;

c)     la glocalisation, c’est-à-dire l’adaptation de la production à des contextes locaux (par le travail des intermédiaires) ;

d)    et la réception (par des consommateurs devenus omnivores, globaux ou cosmopolites).

 

Sans nier l’apport du modèle américain, dont le magistère dans le domaine de la pop culture a fait des émules, l’objectif de ce colloque est de mettre en évidence l’alternative que représente l’Asie de l’Est, en mettant en avant aussi bien les traits communs aux pays situés dans cette aire géographique, par comparaison avec les pays occidentaux, que les spécificités de chacun d’entre eux : si la Hallyu s’est grandement inspirée de l’industrie culturelle japonaise par exemple, la Corée du Sud a pu néanmoins élaborer assez rapidement ses propres stratégies de production et circulation de ses propres produits.

 

a)              Du côté de la production : la globalisation culturelle est très liée au nouvel esprit du capitalisme fondé depuis les années 1960 sur un consumérisme croissant, sur une forte urbanisation, une scolarisation de masse, une démocratisation des loisirs et le développement des nouvelles technologies de la communication, autant de phénomènes qui sont constitutifs d’une modernité tant occidentale qu’asiatique. Ce capitalisme culturel global a été qualifié d’« esthétique » (Böhme, 2017) ou d’« artiste » (Lipovetski et Serroy, 2013).

Ce capitalisme a fait des biens culturels l’une de ses marchandises les plus produites, distribuées et rentables : ce système possède des modes de fonctionnement en matière de stratégies de vente et marketing qui lui sont spécifiques et dont l’impact sur la vie quotidienne est d’une ampleur sans précédent. Ce capitalisme se montre capable de générer et entretenir une forte dépendance chez les consommateurs, y compris en faisant de l’intime (c’est-à-dire des goûts et dégoûts et des émotions afférentes) – aussi bien sûr le plan cognitif qu’émotionnel - une marchandise (Yano, 2013 ; Illouz, 2019) : cette évolution a donné aux industries culturelles transnationales et aux consommateurs en quête de nouvelles stimulations un poids fondamental dans le fonctionnement de l’économie globale.

De nombreux travaux ont également montré que, même dans les secteurs des industries culturelles, les États sont fortement engagés dans le soutien au capitalisme esthétique : soutien direct, exonération fiscale, limitation de la concurrence par des quotas et soutien aux exportations via une articulation avec les structures publiques de diffusion de la culture dans les pays tiers (type Réseau des centres culturels) etc. L’action des États se poursuit également au niveau international dans le cadre de l’OMC pour faire bénéficier les produits culturels d’un statut dérogatoire (ce qui est appelé « l’exception culturelle »), négociations dans lesquelles la place du droit est centrale.

Par ailleurs, la plateformisation du capitalisme esthétique soulève des questions importantes concernant le maintien de la concurrence et de la diversité des produits, et de la neutralité du Net. La complexité de cette synergie entre le public et le privé et de l’articulation entre échelle nationale et internationale confirme le statut spécifique de la culture dans les enjeux du capitalisme contemporain. Quelles sont les formes spécifiques du capitalisme des marchandises culturelles dans les pays asiatiques et en quoi proposent-elles un modèle original par rapport aux modèles occidentaux ?

 

b)               Du côté des effets politiques de ces flux culturels globaux : la globalisation de la culture entraîne une compétition idéologique pour la production d’imaginaires globaux au moyen du soft power (Nye, 2002 ; Kim et Nye, 2013). A côté de pays qui ont fait leurs preuves dans la diplomatie culturelle (c’est le cas notamment de la France et des États-Unis), les nouveaux acteurs globaux de la culture ont fortement investi pour donner une image positive d’eux-mêmes : c’est le cas notamment du Japon (avec le déploiement d’une « pop-cultural diplomacy », Iwabuchi, 2015) ou de la Corée du sud (avec son « sweet power », Cicchelli et Octobre, 2021) ou de la Chine (Yu, 2010 ; Courmont, 2016 ; Commission Européenne, 2017 ; Rouiaï, 2016 et 2018 ; Donnet, 2018 ; Lincot, 2019) qui ont fait de leurs industries culturelles le fer de lance du nation branding (Fan, 2008). Comment s’y prennent les différentes administrations pour investir dans la diplomatie culturelle par la pop culture ? En dehors d’une culturalisation et une esthétisation de l’image des pays qui la promeuvent, quelle est l’efficacité du recours massif à la pop culture ? Peut-on parler d’une contre hégémonie ou d’une nouvelle hégémonie ?

Les réseaux peuvent, plus que les industries pré-numériques qui les ont précédées, diffuser rapidement et à échelle planétaire, des contenus culturels qui promeuvent, explicitement ou implicitement, des valeurs sociales et politiques (individualisme, héroïsme, consumérisme, féminisme etc.), via des produits populaires largement accessibles, et parfois coproduits avec/par les consommateurs, et leur maîtrise est devenue un enjeu central de certains États. Si les réseaux et plateformes numériques promeuvent des valeurs qui ne sont pas réductibles à une origine ethno-nationale, du fait même de leur implantation globale, ils restent néanmoins fermement ancrés dans des réalités nationales, avec leurs contraintes légales, culturelles et politiques (c’est le cas non seulement pour Twitter, Facebook, YouTube et Snapchat aux États-Unis, mais aussi pour WeChat, Weibo, Douyin en Chine). Quels sont les nouveaux visages du soft power ?

Si les investissements d’État favorisent les industries culturelles globales, les actions s’orientent aussi dans le même temps vers des politiques de soutien au patrimoine national et les cultures locales « authentiques » (Curran et Park, 2000) – notamment par réaction aux craintes d’homogénéisation et d’impérialisme culturel. Quelle est la portée et quels sont les moyens de ces actions de défense culturelle ? Et comment « mesurer » leur effectivité ?

 

c)              Du côté des intermédiaires des flux culturels globaux : la circulation des produits des industries culturelles accélère le « global mélange » (Pieterse, 2009), la multiplication des phénomènes d’hybridation. Si cette dernière est un processus aussi vieux que l’histoire, la globalisation en fait un de ses moteurs. L’une des leçons majeures des global studies renvoie en effet aux dynamiques complexes par lesquelles les processus culturels globaux sont intégrés dans des contextes locaux, appropriés et réinventés, en un mot glocalisés (Robertson, 1992 ; Jang and Lee, 2016 ; Roudometof, 2016). Pour mieux comprendre ces dynamiques, il convient de se pencher sur les intermédiaires qui agissent sur cette glocalisation : acteurs politico-institutionnels (via les politiques de quotas par exemple), acteurs économiques (agents artistiques, distributeurs, managers, tourneurs, agents d’auteurs, éditeurs, traducteurs, adaptateurs, mais aussi plateformes de distribution de contenus numériques, etc.) ou acteurs de la société civile (les communautés de fans notamment dont l’action n’est ni neutre ni marginale). Comment les intermédiaires s’y prennent-ils pour intégrer les produits venus d’Asie de l’Est dans les mondes de l’art nationaux et favoriser leur reconnaissance institutionnelle et publique ? Dans quelle mesure les intermédiaires agissent sur les dynamiques de la globalisation en promouvant des authenticités locales (et attractives en tant que telles, comme témoignant de « génies » particuliers) tout en favorisant la diffusion de manières de faire, de normes et de standards (organisationnels, légaux, de qualité etc.) internationaux ? Les intermédiaires œuvrant dans les pays européens ont-ils plutôt accentué la distance culturelle, l’étrangeté, l’exotisme des produits culturels asiatiques (Iwabuchi, 2002 ; Pang, 2005 ; Yano, 2013). Comment concrètement analyser les stratégies de production des contenus produits culturels asiatiques à destination de publics globaux et les raisons de leur succès ?

 

d)              Du côté de la réception par des audiences européennes : la question des mécanismes de réception des produits globaux a produit des travaux nombreux qui proposent des hypothèses très contrastées pour expliquer l’attraction que certains produits sont parvenus à susciter auprès d’audiences globales. D’une part, certains chercheurs postulent que l’appropriation d’un contenu culturel étranger n’est possible qu’au prix d’un rabais de sa complexité culturelle, ce qui diminue son intérêt :  c’est le « cultural discount » (Lee, 2008). De manière complémentaire, d’autres chercheurs estiment que les produits plaisent en fonction d’une « cultural proximity » (La Pastina et Straubhaar, 2005) préexistante et/ou construite entre les contenus véhiculés par le produit et les publics récepteurs. De l’autre, des travaux ont montré que les appropriations de produits participants du mainstream international donnaient lieu à un travail, porteur de sens pour les consommateurs (Liebes and Katz, 1990) y compris dans des cultures a priori éloignées de la culture d’origine du produit. Ce travail d’appropriation du sens est d’autant plus marqué dans le contexte du spreadable media (Jenkins et al., 2013), qui accentue la participation des consommateurs à la production culturelle. S’inspirant d’une approche cosmopolite, d’autres travaux encore ont montré que les produits culturels étrangers faisaient l’objet d’appropriations multiples, sous conditions sociales, qui contribuent à la construction de la dialectique du « proche » et du « lointain » et, partant, à la définition de sa place dans le monde (Cicchelli et Octobre, 2017). C’est bien en effet la forte consommation des produits culturels circulant à une échelle internationale et en provenance des quatre coins du monde qui érige le désir de consommation de l’autre – sorte de néo-exotisme - en moteur de la croissance, désir savamment entretenu à travers le marketing de la différence (Emontspool et Woodward, 2018). Comment les publics européens s’approprient-ils les contenus venus de l’Asie de l’Est et les intègrent-ils dans leur quotidien ? Comment se transforment les répertoires et les imaginaires culturels des consommateurs de ces produits ? Comment la consommation dans le contexte 2.0 reformule-t-elle les notions de proche et de lointain ?

 

C’est à l’ensemble des questions soulevées dans chacun des quatre plans que ce colloque entend se consacrer.

 

Organisation

Le colloque est co-organisé par le Global Research Institute of Paris (Université de Paris) et le Département des études de la prospective et des statistiques (Ministère de la culture). Il se tiendra les 14-16 décembre 2022 à Paris (Université de Paris, Amphithéâtre Buffon : 15 rue Hélène Brion 75013 Paris).

 

Soumettre une proposition

Les propositions de communication -en français ou en anglais - doivent être déposées sur le site du colloque : https://euroasie.sciencesconf.org. Comptant 250 mots maximum, elles devront indiquer le cadre théorique, les données d’enquête mobilisées ainsi que le ou les axes dans le(s)lequel(s) elles s’inscrivent.

 

Calendrier 

-31 mars 2022 : clôture de l’appel à communications

-2 mai 2022 : retour aux communicants sur la sélection des propositions 

-14-16 décembre 2022 : colloque

 

 

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